«Nous devons rester humbles et sincères»

Entretien Geneviève Montaigu pour Le Quotidien

Quel regard portent les jeunes verts sur leurs aînés qui ont parti- cipé pour la première fois à un gou- vernement?

Meris Sehovic: En général, nous pouvons être fiers de ce que nous avons mis en œuvre ces cinq derniè- res années et particulièrement dans la politique environnementale où tout le dispositif législatif a été ré- formé dans les domaines de l'eau, du sol, des déchets, du code forestier, et on peut ajouter les multiples plans d'action pour la qualité de l'air, la gestion des déchets, etc. La protec- tion de notre environnement est de- venue une vraie priorité dans l'action gouvernementale. C'est le même constat pour la mobilité. Nous avons mis le tram en route et nous consa- crons deux tiers des investissements pour les transports publics. Dans le domaine de la justice, je citerais la ré- forme de la loi sur la nationalité, le mariage pour tous ou encore l'adop- tion pour les couples homosexuels, des thématiques classiquement ver- tes. Mais comme je l'ai dit lors de no- tre dernier congrès, nous devons res- ter humbles et sincères, et dire tout ce que nous n'avons pas pu obtenir ni réaliser. Il reste encore du boulot.

Comme dans le secteur du loge- ment par exemple, une priorité de votre programme. Ce gouverne- ment a-t-il raté l'examen dans ce domaine et à quelles recettes pen- sez-vous?

Oui, c'est un raté. Le problème du logement c'est une question du droit à la propriété au Luxembourg. Je suis d'avis que nous devons changer no- tre Constitution et faire comme en Allemagne qui met en relation le droit à la propriété individuelle avec les intérêts légitimes de la société. Nous ne pouvons pas avoir des spé- culateurs qui bloquent des terrains ou des propriétaires qui laissent des immeubles à l'abandon. De plus, il nous faut un cadre législatif plus contraignant pour mieux règlemen- ter le tohu-bohu des agences immo- bilières. La colocation est une autre voie alors qu'aujourd'hui il est extrê- mement compliqué de l'appliquer au Luxembourg à cause du système de taxation alambiqué. Il faut simplifier et donner un cadre légal à la coloca- tion. On aurait pu en profiter pour le faire lors de la réforme fiscale... D'au- tres projets comme l'habitat partici- patif ont eu le mérite d'être dévelop- pés. Il faut continuer sur cette voie.

Vous portez également un grand intérêt à la politique d'intégration. Un autre ratage selon vous avec un référendum malheureux sur le droit de vote des étrangers?

À la base, le référendum était une bonne idée, mais il a été mal pré- paré. En fin de compte, nous avions une partie de la population qui déci- dait des droits de l'autre partie de la population, ce n'était pas tenable. Le résultat de cette consultation a divisé la société et on aurait dû évi- ter cette division. Plus générale- ment, je ne pense pas que la politi- que d'intégration soit un ratage complet, car nous avons réussi à ré- former la législation sur la nationa- lité qui aujourd'hui est adaptée à la réalité. Mais si on parle d'intégra- tion, on revient au problème du lo- gement, de l'éducation, du travail, etc.

Certains entendent "intégration" comme "apprentissage du luxembourgeois"...

Les trois langues officielles per- mettent l'intégration. La discussion sur la langue luxembourgeoise est toujours émotionnelle et souvent peu factuelle. C'est vrai que l'ap- prentissage de la langue luxembour- geoise peut faciliter l'intégration, mais on ne peut pas réduire le Luxembourg à cette langue puisque ce ne fut jamais la réalité. C'est une des trois langues et jamais autant de gens ne l'ont maîtrisée qu'au- jourd'hui. Personnellement, je ne perçois aucun problème.

Craignez-vous que ce thème encombre la campagne électorale?

Il y a des acteurs politiques comme les membres de l'ADR qui vont lui donner une grande importance, puis il faudra voir le positionne- ment du CSV sur cette question. Certains ont un intérêt électoral à réduire la campagne à ce thème de la langue luxembourgeoise. Mais c'est une vue complètement réduite sur les défis de notre pays.

La croissance étant le principal défi?

Pas forcément la croissance, mais surtout le développement du pays et la question du partage des riches- ses. Au Luxembourg, le débat sur la croissance est très intéressant car derrière il se trouve un débat sur la mondialisation et ses conséquences néfastes. En Allemagne, par exem- ple, avec la montée des populismes, le débat sur la croissance est assez abstrait, tandis qu'au Luxembourg il est très concret. Ici, quand on parle de la fabrique de yaourts, on parvient à concrétiser la question essentielle qui est celle des biens communs contre les intérêts parti- culiers. C'est une opportunité au Luxembourg car il s'agit bien des questions que se pose notre généra- tion. Le rôle des verts, dans la me- sure où l'antipopulisme et l'antifas- cisme sont inscrits dans notre ADN, est de faire le contrepoids aux idées réductrices et de mettre en avant les vraies questions. Nous sommes dans une bonne position, car avec 10 % des voix, nous avons réussi à mettre les questions écologiques au cœur du débat politique au Luxem- bourg.

Quand on parle croissance, les frontaliers sont aussitôt visés...

Qu'est-ce qu'on ferait sans fronta- liers et sans leur apport au dévelop- pement du pays? Le développement économique et culturel du pays est impensable sans eux.

Bien. Qu'est-ce qu'une croissance qualitative pour vous?

C'est une politique qui assure d'abord les besoins primaires de no- tre société : l'eau propre, l'air pro- pre, les paysages, une nature en bon état. En fin de compte, et même en termes de politique sociale, on ne peut pas garantir la dignité hu- maine ni la liberté individuelle sans résoudre la question écologique. Parler de croissance, pour moi, c'est d'abord réformer toutes les procé- dures d'établissement des entrepri- ses. On ne peut pas avoir un minis- tre de l'Économie qui fait de gran- des annonces quand une entreprise vient s'établir et créer des emplois au Luxembourg, et qui se demande plus tard quel est son impact sur l'environnement. Il faut évaluer tout cela avant et analyser ce que l'entreprise apporte réellement à l'économie et à la société luxem- bourgeoises. Je n'ai pas compris la polémique autour de l'établisse- ment de Knauf et de Fage, puisque Étienne Schneider, qui a présenté le plan Rifkin, trouve toutes ces ré- ponses dans l'étude en question. Je pense que ces deux projets n'appor- tent aucune plus-value pour le Luxembourg.

Passons au digital, puisque votre génération en consomme beau- coup. Vous faites du numérique un autre thème capital de votre campagne. Comment jugez-vous la po- sition du Luxembourg face à une taxation européenne des GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon)?

Je regrette profondément que M. Bettel et M. Gramegna freinent le débat européen à ce sujet. Ils pla- cent à court terme les intérêts de la place financière au-dessus de l'inté- rêt général. Il faut se libérer de ces vues très limitées sur les choses. La Commission européenne a proposé une législation et je demande au gouvernement de reconsidérer la position luxembourgeoise. Si on ne le fait pas maintenant, il sera trop tard. Il est primordial que la politi- que reprenne le pouvoir sur les géants du net.

La Jeunesse démocrate et libérale plaide pour la légalisation du can- nabis, un vieux débat cher aux verts...

J'espère que les jeunes socialistes et les jeunes libéraux vont pousser leur parti à accepter cette légalisa- tion. On aurait pu le faire avec ce gouvernement-ci. La réalité, c'est que la guerre contre la drogue a échoué. On a fini par criminaliser des pauvres jeunes qui fumaient un pétard sous un abribus et on les a marginalisés. C'est un modèle qui n'est plus tenable. Les jeunes verts plaident pour une légalisation de- puis des décennies et il y a deux aspects à prendre en considération. D'une part, la légalisation du can- nabis, mais il faut comprendre "en- cadrée", qui est évidente à ce stade. On pense souvent au modèle néer- landais, mais il a échoué. Nous vou- lons un marché encadré avec un monopole d'État pour assurer la qualité et récolter les impôts. D'au- tre part, il y a l'aspect médical et ici je plaide pour la création d'un cen- tre de recherche sur le cannabis mé- dical au Luxembourg. Nous avons perdu assez de temps déjà.

Vous êtes le chef du bureau de Claude Turmes au Parlement euro- péen et il vient d'être appelé par Nicolas Hulot pour rejoindre le comité "Accélérateur de la transition écologique" (AcTE) français. Comment cela s'est-il fait?

Claude Turmes en tant que député sur la scène politique euro- péenne depuis 20 ans a toujours eu de bons contacts avec les gouvernements en Europe. Si on veut faire des lois européennes, il faut travailler avec les États membres, il ne suffit pas d'avoir une majorité au Parlement. Cette fois, il travail- lera dans un cadre un peu plus ins- titutionnel. Il offrira une perspec- tive européenne au gouvernement français qui en manque un peu sur la question de la transition énergé- tique. Par son travail, Claude Tur- mes montre qu'en Europe ce n'est pas la taille du pays qui compte, mais la capacité à avoir une vision politique forte et une expertise re- connue.

Que répondez-vous à ceux qui di- sent que le parti écologique est su- perflu puisque tous incluent la pro- tection de l'environnement dans leurs programmes?

Pour les autres partis, l'écologie est surtout un petit bonus dans les déclarations officielles qui est faci- lement bradé au profit d'autres considérations. Mais l'écologie po- litique c'est mettre l'environne- ment au cœur des réflexions. Et c'est ce que nous faisons. Sans le parti vert, nous n'aurions pas eu autant de zones de protection d'eau potable ni l'interdiction de la chasse au renard ni la sortie pro- gressive du glyphosate...

Les élections communales ont montré la volonté des électeurs de propulser des jeunes sur la scène politique. Selon vous, ce sera aussi le cas pour les législatives d'octobre?

Je pense que oui. Pour répondre aux défis de demain où dominent le numérique et l'écologie, il faut un renouvellement de généra- tion. Nous avons 16 candidats sur les listes nationales, en 2013, nous en avions sept seulement. En termes de personnel politique, nous avons veillé à un renouveau. D'un point de vue institutionnel, les jeunes verts ont une représen- tation assez forte au sein du parti et nous pouvons en être assez fiers.

Meris Sehovic